https://www.rst-sante-travail.fr/rst/pages-article/ArticleRST.html?ref=RST.TF%20264Si le monde de la logistique se sensibilise progressivement aux Troubles Musculo-Squelettiques, la technologie a peut-être de belles ressources à nous apporter pour prévenir ces pathologies. C’est notamment le cas des exosquelettes logistiques, une innovation de plus en plus implémentée dans les entrepôts.
Nous avons interviewé le Dr Jean Theurel, responsable d’études et responsable du programme exosquelette de l’INRS. Il nous partage l’état de l’art des exosquelettes en France, et sa vision du développement et des usages de cette technologie anti-TMS.
Les missions de l’INRS en quelques mots L’INRS, Institut National de la Recherche et de la Sécurité, a pour objectif de promouvoir la culture de la prévention dans les entreprises françaises. Leurs équipes sont organisées en différents métiers : chercheurs, communiquants et formateurs s’associent pour promouvoir les bonnes pratiques de prévention professionnelle, et accompagner les entreprises vers leurs mises en applications. |
Jean, pourquoi avez-vous rejoint l’INRS ?
J’ai, à l’origine, fait une thèse en physiologie de l’effort, co-financée par La Poste. J’ai donc toujours eu un attrait pour ce sujet, que j’ai d’abord appliqué au monde du sport. Directeur R&d d’un centre de recherche, j’ai d’abord mis les théories de physiologie de l’effort au service de la santé des athlètes et de leur performance.
Mais avec du recul, j’ai compris qu’il était aujourd’hui plus vertueux, à mon sens, d’encourager la santé au travail que d’appliquer mes connaissances à la promotion des nouvelles technologies de loisir. On sentait bien que les technologies d’assistance physique allaient énormément se développer dans les années à venir, que ce soit pour éviter les blessures au travail ou pour assister la manipulation de charges lourdes.
C’est pourquoi j’ai rejoint l’INRS en janvier 2016, directement sur le projet des exosquelettes.
Quelles sont vos missions au sein de l’INRS ?
Notre équipe est actuellement constituée d’une dizaine de personnes, qui travaillent sur la physiologie de l’effort, mais traitent également les aspects ergonomiques, cognitifs et psychosociaux liés à l’intégration des exosquelettes dans les entreprises.
Nous construisons bien sûr des programmes de recherche pour les années à venir, et tentons de diversifier nos approches par le recrutement de chercheurs, ou l’encadrement de doctorants… Mais nous mettons également en oeuvre des projets d’application de ces recherches dans les entreprises, et accompagnons les professionnels qui souhaitent intégrer les exosquelettes à leur activité.
Nous produisons également beaucoup de documents pour outiller les entreprises, et contribuons à la mise en vigueur des normes relatives aux exosquelettes… puisqu’actuellement, la loi ne préconise rien en termes de réglementation.
Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est un exosquelette ?
Il s’agit d’une structure mécanique, revêtue par un utilisateur, qui transmet de l’énergie au corps humain pour réduire les sollicitations musculaires excessives. Il peut s’agir de système passifs, constitués de ressorts ou d’élastiques, ou bien de systèmes actifs, qui fonctionnent avec des moteurs.
Grâce à cette technologie, on peut soulager l’effort de l’utilisateur très localement, sur un muscle précis, dans un mouvement très simple. A l’INRS, nous nous intéressons uniquement à l’usage professionnel de la technologie ; mais il existe et existera des applications dans les domaines militaire, sportif, ou encore de la santé.
Quels maux les exosquelettes appliqués à la logistique peuvent-ils prévenir ?
Bien utilisé, l’exosquelette en logistique pourrait permettre de prévenir les risques de Troubles Musculo-Squelettiques (TMS). Pour l’heure, cette technologie permet d’aider au redressement du dos et au soulagement des épaules lors de l’élévation des bras ; des zones du corps très sollicitées dans la préparation de commande.
Cependant, on voit des systèmes se développer aujourd’hui pour soulager les efforts de la main, du cou… qui fonctionnent sur le même principe.
Quelle est la position de l’INRS concernant les Troubles Musculo-Squelettiques (TMS) ?
Il s’agit bien sûr de l’une de nos grandes préoccupations. C’est un problème large, multi-factoriel, qui va englober des soucis de charge physique, d’organisation du travail, de risques psycho-sociaux…
A l’INRS, notre premier objectif est de promouvoir une prévention primaire ; c’est-à-dire que nous préférons éviter les sources du danger en adaptant l’organisation ou l’environnement du travail, plutôt que de les contenir.
Mais malheureusement, dans de nombreuses situations encore, les entreprises se retrouvent en déficits de moyens pour éviter ces dangers. Certaines tâches ne peuvent pas être modifiées, pour changer la condition de travail inconfortable ; ou alors il n’existe pas de solution d’aménagement capable de réduire les TMS. C’est dans ce cas uniquement que l’on va se tourner vers des solutions comme les exosquelettes en logistique.
Où en est votre travail sur ces exosquelettes ?
Actuellement, deux questions nous animent à propos des exosquelettes :
- D’une part, à quel point arrive-t-on à soulager l’utilisateur ? Arrivons-nous réellement à résoudre le TMS grâce à l’usage de la technologie ?
- D’autre part, est-ce que l’usage de l’exosquelette a des effets “non-désirés” qui pourraient entraîner un second niveau de risque (minime ou plus important) ?
L’idée étant d’aider les utilisateurs, mais de ne pas équiper des salariés avec des outils plus risqués que ceux qu’ils utilisaient auparavant.
Quelle est l’avancée du sujet en France ?
La France est l’un des pays les plus ouverts à l’utilisation de l’exosquelette au monde. L’INRS s’est positionné de façon assez avant-gardiste sur le sujet, ce qui nous a permis de prendre place parmi les leaders dans le domaine de la recherche sur le sujet des exosquelettes, avec les Etats-Unis et d’autres pays d’Europe. On voit d’ailleurs une réelle volonté politique d’avancer dans le sens de ces technologies, avec des programmes étatiques comme “Industrie du Futur”.
Cependant, en termes d’usage des exosquelettes, nous sommes loin d’être les premiers. La France a pour objectif la prévention avant tout : l’exosquelette n’est pas vu comme un outil de productivité, mais bien de prévention.
Des pays qui sont arrivés plus tardivement sur le sujet, comme les Etats-Unis, ont beaucoup moins de doutes sur les risques engendrés par les exosquelettes, et les mettent déjà en place de manière massive (par exemple dans le domaine de l’aviation).
En France, notre objectif est plutôt d’évaluer et d’éviter les contre-effets, d’avancer plus prudemment sur le sujet, en accompagnement les entreprises par une démarche d’intégration méthodique.
Certains types d’entreprises ou certains secteurs sont-ils plus friands de cette technologie que d’autres ?
Les exosquelettes sont mis en place dans des entreprises de toutes tailles, et dans tous les secteurs.
Aux débuts de la technologie, les secteurs de l’automobile, du ferroviaire de l’industrie et du BTP faisaient partie des précurseurs.
L’exosquelette dans la logistique apparaît comme une évidence, puisqu’il s’agit d’un secteur comportant de nombreuses tâches de manutention, des manipulations qu’on ne peut plus prévenir. Le bouche-à-oreille faisant son oeuvre, de plus en plus d’entreprises de ce secteur s’y mettent.
Dans les années à venir, on prévoit une application de plus en plus courante au secteur des soins à la personne. Dans ce cadre-ci, on ne manipule plus des colis, des matériaux, mais bien des patients affaiblis, qui peuvent être mis en souffrance pendant des déplacements. Il s’agit là d’un nouveau défi, auquel l’INRS va devoir répondre dans un avenir proche, dès 2020.
Quels sont les freins à l’adoption des exosquelettes en France ?
Voilà une question aussi riche que complexe, et que nous étudions précisément à l’INRS. Notre objectif est de déterminer ces freins, de travailler sur l’acceptation de la technologie, pour préserver en l’utilisation sur le long terme.
Beaucoup d’éléments peuvent bloquer l’adoption des exosquelettes : l’utilité perçue de l’outil par rapport à la réalité de ce qu’il est, son côté technique, les contraintes supplémentaires qu’il suppose, notamment en termes de charge mentale…
Nous avons identifié un certain nombre de ces éléments bloquants (ergonomie, problèmes de représentation subjective de l’outil, construction sociale qui l’entoure…). Il faut désormais les pondérer, et surtout accompagner les utilisateurs.
Par exemple, les exosquelettes en logistique vont surtout être positionnés en phase de picking. Les positions de cette phase sont difficiles à uniformiser, et les risques de TMS y sont prépondérants. Il faut absolument mettre en place des formations et un suivi des salariés, dès la présentation de l’exosquelette dans l’entrepôt, pour mettre en place une bonne image et un bon usage de l’outil. Pour cela, nous avons mis en place un guide méthodologique, que vous pouvez télécharger ici.
Merci à Jean Theurel pour cette interview riche en innovation, qui devrait inspirer des logisticiens à prévenir au mieux les TMS dans l’entrepôt grâce aux nouvelles technologies de l’effort.
Pour aller plus loin sur le sujet des exosquelettes en logistique
- Consultez ici le dossier de l’INRS sur les exosquelettes.
- Visionnez l’émission de l’INRS dédiée au sujet :
- Retrouvez l’INRS aux 2 éditions 2020 du salon Preventica.